Qu’est-ce qu’être puissant‑e ?

Un dos­sier du maga­zine Elé­phant (La revue de culture géné­rale — nr 32 – datant d’octobre 2020), éla­bo­ré par Méla­nie Semaine (pro­fes­seure de phi­lo­so­phie) aborde lar­ge­ment cette ques­tion dans un dos­sier ‘phi­lo­so­phie’. Quels types d’hommes, de femmes puis­sant-e‑s peuvent exer­cer un pou­voir éclai­ré ? A qui devons-nous confier le pou­voir de nous gouverner ?

Puis­sant ?

« Dans l’imaginaire col­lec­tif, ce mot évoque aus­si bien la force phy­sique que l’efficacité dans l’action, ou encore l’influence presque omni­sciente de celui qui tire les ficelles ». C’est comme une magie qui s’exerce, d’autres vous regardent et vous disent puissant‑e, avec une cer­taine admi­ra­tion par­fois, parce qu’on déduit des actions (pas tou­jours morales) de ceux qui nous gou­vernent ou nous dirigent, que c’est leur puis­sance qui leur per­met d’agir.

Et pour­tant au fond de nous, sou­vent la cri­tique affleure, n’est-ce pas un vice d’exercer sa puis­sance de cette manière, c’est par­fois bru­tal, injuste, et dans cer­tains cas on peut faci­le­ment dou­ter des capa­ci­tés, connais­sances, com­pé­tences de ceux ou celles qui détiennent le pou­voir. Sont-ils, sont-elles réel­le­ment puis­sant-e‑s ?

Les articles de ce dos­sier nous aident à trou­ver quelques réponses, car bien des phi­lo­sophes et même les neu­ros­ciences se sont pen­chés lon­gue­ment sur ces questions.

Ce que la puis­sance n’est pas

En pre­mier lieu, nous éta­blis­sons que la puis­sance n’est pas seule­ment la force. On s’accordera sur le fait que la puis­sance est « capa­ci­té à agir », alors que la force est la « capa­ci­té à réagir », elle n’existe qu’en affron­tant une autre force.

La puis­sance n’est pas non plus la ‘toute-puis­sance’, une illu­sion don­née par cer­taines posi­tions, et qui mécon­naît ses limites, qui inves­tit tout dans le pou­voir SUR les autres. Illu­sion, car elle ne per­met pas de se libé­rer inté­rieu­re­ment, d’être en paix avec soi. Elle mène bien sou­vent à l’aveuglement. Elle n’est pas force d’âme, elle mécon­naît la néces­saire limite de ses dési­rs et par consé­quence mène à l’insatisfaction régulière.

Et enfin, on peut déte­nir du pou­voir sans être réel­le­ment puis­sant. Ce pou­voir, « ne ren­voie pas à une capa­ci­té per­son­nelle mais à une simple posi­tion occu­pée par rap­port à d’autres ». Les deux (puis­sance et pou­voir) per­mettent de pas­ser à l’action, mais le pou­voir ne donne que la capa­ci­té à agir sur les autres, alors que la puis­sance, on le sent bien, donne plus que cela.

Et fina­le­ment,

La puis­sance donne la pos­si­bi­li­té de prendre contact avec ce qui est intrin­sè­que­ment à l’origine des actions que l’on prend. Elle existe parce que l’on connait alors ses moti­va­tions pro­fondes, l’étendue de ses dési­rs, ses propres limites et parce que l’on est en par­faite conscience de soi, de l’autre, des autres, et que l’on devient capable de se positionner.

Ce n’est pas une posi­tion exté­rieu­re­ment accor­dée dans une orga­ni­sa­tion, c’est une posi­tion choi­sie, inté­rieure, qui apporte la sta­bi­li­té, les com­pé­tences et l’énergie pour agir, au plus juste, et le cas échéant déci­der, gou­ver­ner, diriger.

En conclu­sion, puisque l’on démontre que la puis­sance réside donc dans la capa­ci­té à se gou­ver­ner soi-même avant toute chose, « à pou­voir conte­nir ses dési­rs et ses pen­sées et les diri­ger dans la (bonne) direc­tion », alors les per­sonnes qui sont en ques­tion­ne­ment sur eux-mêmes, quelle que soit leur méthode, celles qui doutent et qui pleurent sur les divans des psy­cho­logues, qui osent aller faire un bilan de com­pé­tences, ou qui osent essayer le coa­ching, tous ceux qui avant de pré­tendre gou­ver­ner l’autre, les autres, les entre­prises, les orga­ni­sa­tions, s’efforcent de se gou­ver­ner eux-mêmes, de recon­naître et inté­grer leurs émo­tions, sont ceux-là mêmes qui devraient être mis en posi­tion de responsabilités.

Ce sont eux et elles, les vrai-e‑s lea­ders, qui dis­tinguent leur puis­sance de la force et qui ne se laissent ni ten­ter, ni cor­rompre par l’illusion de la toute-puis­sance. Alors, bra­vo, à tous ceux et celles qui sont sur ce che­min de déve­lop­pe­ment per­son­nel, et « Bou­hou­hou » à tous les dic­ta­teur-e‑s de cette planète !